
Un acte interruptif de prescription de l’action indemnitaire ne peut interrompre un délai n’ayant pas commencé à courir
Auteurs : Sylvie Cholet, Avocate associée et Jeanne Cremers, Avocate stagiaire
Publié le :
21/02/2025
21
février
févr.
02
2025
Cour d’appel de Paris, 22 janvier 2025 n°23/04477
Cette affaire fait suite à la décision n°14-D-19 du 18 décembre 2014 par laquelle l’Autorité de la concurrence a condamné la société L’Oréal et sa filiale Lascad dans le cadre d’une entente dans le secteur des produits d’hygiène. Cette affaire, initiée par une demande de clémence de l'entreprise SC Johnson lui ayant valu une immunité totale de sanction, concernait une entente de prix entre les fournisseurs impliqués.
Carrefour, s’estimant victime de cette entente, avait assigné une première fois L’Oréal le 17 août 2017 devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice concurrentiel mais l’instance avait été jugée éteinte le 13 juillet 2020, en raison du non-respect des délais procéduraux. Ce n’est donc que le 20 juillet 2021, plus de cinq ans après la décision de l’Autorité, que Carrefour a assigné L’Oréal conduisant à un jugement du 23 janvier 2023, par lequel le Tribunal de commerce de Paris, RG n°2021037634, a jugée l’action prescrite. Carrefour a interjeté appel de ce jugement, nous conduisant au présent arrêt de la Cour d’appel de Paris du 22 janvier 2025 n°23/04477.
Rappelons que, aux termes de l’article 2224 du code civil, résultant de la loi du 17 juin 2008 : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer». Ce délai de cinq ans est également prévu à l’article L.482-1 du code de commerce qui, en matière d’actions en dommages-intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, le fait débuter à compter « du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative : 1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'article L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ; 2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ; 3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique. »
La plupart du temps, il s’agit de la date à laquelle est publiée la décision de l’Autorité de la concurrence comme cela a été le cas en l’espèce, soit le 18 décembre 2014, si bien que la prescription de l’action en réparation de Carrefour devait être acquise au 18 décembre 2019, sauf à admettre une interruption du délai résultant d’un acte interruptif survenu entre ces deux dates.
Carrefour alléguait le bénéfice de l’article L462-7 du code de commerce qui prévoyait une interruption de prescription jusqu’à ce que la décision de l’Autorité soit définitive - à compter de la saisine dans la version du 17 mars 2014 et également à compter de la décision de l’Autorité, dans la version du 9 mars 2017 résultant de la transposition de l’article 10§4 de la directive 2014/104. De telle sorte que, selon elle, un nouveau délai avait commencé à courir au jour de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 27 octobre 2016 (voire même au jour de l’arrêt rendu par la Cour de renvoi le 18 juin 2020), statuant sur le recours formé contre la décision de l’Autorité, en sorte que sa nouvelle action introduite le 20 juillet 2021 ne serait pas prescrite.
Or, pour que l’interruption joue, encore fallait que le délai de prescription ait commencé à courir, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
En effet, le point de départ de la prescription est bien la date de la décision de l’Autorité de la concurrence, le 18 décembre 2014, lorsque Carrefour, comme de nombreuses victimes de pratiques anticoncurrentielles, a pris connaissance de l’infraction. La saisine d’office du Conseil de la concurrence, en date du 20 juin 2006, dans cette affaire, ne pouvait donc pas interrompre une prescription n’ayant pas commencé à courir.
La Cour rappelle à ce titre que l’article L.462-7 du Code de commerce renvoie bien à un mécanisme d’interruption de prescription, en raison de la réalisation d’un acte interruptif, et non à un mécanisme de report du point de départ du délai de prescription à la date à laquelle la décision de concurrence devient définitive.
Enfin, on pourrait s’interroger sur l’utilité des mécanismes interruptifs du délai de prescription, prévus par l’article L.462-7 du Code de commerce censés profiter aux victimes, ces dernières étant généralement informées de l’infraction au jour de la décision de l’autorité compétente et de manière certaine lorsqu’elle devient définitive au terme d’une procédure souvent longue et complexe. La Cour d’appel semble n’y voir aucune atteinte au principe d’effectivité du droit de l’Union, quand bien même l’action de Carrefour était prescrite avant que la décision de l’Autorité ne soit devenue définitive. Elle estime que les sociétés Carrefour ont bénéficié d’un délai raisonnable de 5 ans pour agir et ont accédé à des éléments de preuve suffisants pour établir et calculer leur préjudice en raison de la publication de la décision de l’Autorité condamnant L’Oréal. Les victimes sont donc invitées à agir, sans attendre, à compter de la décision de l'Autorité si elles souhaitent éviter la prescription de leur action …
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