Le préavis des ruptures antérieures au 25 avril 2019 n’est pas limité par l’article L442-1 II du code de commerce
Publié le :
21/03/2024
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CA Paris, pôle 5 ch. 4, 20 déc. 2023, n° 21/10951
Le 20 décembre 2023, la Cour d’appel de Paris a statué sur l’intéressante question de savoir si le nouvel article L442-1 du Code de commerce s’applique rétroactivement à la rupture d’une relation commerciale établie intervenue antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 24 avril 2019[1].
Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le partenaire d’une relation commerciale établie depuis 1983 portant sur du courtage en assurance, l’avait rompue, le 1er mars 2018, avec un préavis de 12 mois porté à 18 mois dans le cadre d’une tentative de conciliation.
Considérant cette durée insuffisante, la victime de la rupture a saisi le 31 janvier 2020 le tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l’ancien article L442-6 I 5° du Code de commerce, en vigueur au moment de la rupture. Elle réclamait un préavis de 60 mois tenant compte des spécificités de la relation.
Or, entre temps, l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 avait adopté le nouvel article L442-1 II du code de commerce (en remplacement de l’ancien article L442-6 I 5°) qui instaure un plafond légal de 18 mois pour la durée de préavis. Lorsque l’auteur de la rupture propose une telle durée de préavis, il ne peut pas voir sa responsabilité engagée sur le fondement de ce texte.
Aussi, le défendeur réclamait le bénéfice de ce nouveau texte estimant qu’il « s’applique immédiatement à toute instance et contrat en cours » dès lors notamment « qu’outre l’absence de dispositions transitoires, le nouvel article L. 442-1, II, du code de commerce revêt un motif impérieux d’intérêt général, ayant pour objectif de simplifier et clarifier l’ordre juridique existant dans un souci d’équité, de cohérence et d’efficience économique ».
Se posait donc la question de savoir si le délai légal de 18 mois de préavis introduit par l’ordonnance de 2019 revêt un motif impérieux d’intérêt général permettant à l’article L442-1 de s’appliquer immédiatement aux contentieux en cours y compris lorsque la rupture est intervenue avant son entrée en vigueur.
En réponse, la Cour d’appel de Paris rappelle le principe fondamental posé à l’article 2 du code civil, selon lequel la loi ne dispose que pour l’avenir et n’a pas d’effet rétroactif.
Or, l’instauration d’un plafond de 18 mois au titre du préavis devant être accordé ne relève « pas d’un motif d’ordre public impérieux susceptible de justifier l’application immédiate du nouvel article L 442-1 du code de commerce. »
En outre, si l’article 5 de l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 prévoit des dispositions transitoires, elles ne s’appliquent qu’aux articles L. 443-1 à L. 441-7 du code de commerce et non au nouvel article L. 442-1 de ce code relatif à la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Dès lors, la durée du préavis des ruptures antérieures au 25 avril 2019 (date d’entrée en vigueur de l’ordonnance susvisée) est régie par l’ancien article L442-6 I 5° du code de commerce qui permet éventuellement d’engager la responsabilité de l’auteur de la rupture même s’il a proposé un préavis de 18 mois.
Cette solution ne peut qu’être approuvée : rappelons que la Cour de cassation française confère au principe de non-rétroactivité de la loi un caractère d’ordre public (Cass. civ. 2, 24 novembre 1955, Bull. 1955, II, no 533, p. 325; Civ 3., 21 janvier 1971, no 70-10.543, Bull. 1971, III, no 44). Ce principe est consacré en matière pénale à l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui énonce que (« (…) nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée ») tandis que « les lois pénales moins sévères, qui suppriment ou adoucissent une pénalité » s’appliquent immédiatement, dès leur entrée en vigueur, à toutes les situations juridiques pénales même nées avant leur entrée en vigueur (règle issue de Crim, 1 ere, Octobre 1813, S., 14, I, p. 16).
En l’espèce, il se trouve que la Cour d’appel a considéré que 18 mois suffisait pour une relation de 35 ans, ce qui revenait donc à la même solution que si le nouveau texte s’appliquait.
Mais il n’en reste pas moins que dans d’autres conditions (relation plus longue, dépendance économique caractérisée, produit de marque de distributeur), une durée plus longue aurait pu être accordée.
[1] Ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019
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