Une entente anticoncurrentielle, ça peut coûter cher !
Publié le :
20/02/2019
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Dans la panoplie très complète d’outils destinés à sanctionner les pratiques anticoncurrentielles, l’action indemnitaire est le plus récent, mais peut-être pas le moins efficace. Cet arrêt de la Cour de Paris, rendu le 6 février 2019, en offre un exemple, même si la procédure n’est pas entièrement terminée.
Se fondant sur la condamnation d’une entente ayant duré trente ans entre six groupes de producteurs de phosphates destinés à l'alimentation animale prononcée par la Commission européenne (déc. du 20 juillet 2010 infligeant une amende de 175 millions d’euros), un client – la société Doux Aliments – a assigné son fournisseur, la société Timab (condamnée solidairement avec sa mère à une amende de près de 60 millions d’euros) en réparation du préjudice subi du fait d’excédents de facturation illicites entre 1993 et 2004. En première instance, l'action avait été jugée prescrite. L’arrêt a été rendu sur appel de la société Doux Aliments.
La première question avait trait à la prescription. L’action avait été introduite, en effet, au début de l’année 2014, c’est à dire plus de cinq ans après l’ouverture de la procédure de poursuite par la Commission européenne. La position du tribunal était donc juridiquement fondée. Depuis lors, les conditions de la prescription ont été assouplies par la directive n°2014/104/UE du 26 novembre 2014 du Parlement européen et du Conseil, dont les dispositions ont été transposées en 2017 par l’ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles. La victime estimait justement qu’il fallait tenir compte de « l’esprit » des nouveaux textes et invitait le juge à interpréter le droit national à la lumière de la directive.
La Cour, pour sa part, se place sur un autre terrain en s’interrogeant sur un texte dont l’application temporelle ne causait pas de problème, à savoir l’article 2224 du code civil, dans sa version résultant de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, qui fixe le point de départ du délai de prescription de cinq ans « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Elle affirme que la société Doux ne pouvait pas savoir qu’elle était victime d’un cartel avant que son fournisseur principal soit sanctionné de ce chef par la Commission en 2010, écartant d’un revers de main les indices contraires tels que l’action indemnitaire déclenchée par d’autres clients d’autres cartellistes au Royaume Uni ou des articles de la presse spécialisé.
Ce premier obstacle franchi, la victime se heurtait à une autre difficulté récurrente en droit de la responsabilité civile, à savoir la démonstration d’un lien de causalité entre la faute invoquée et le dommage subi. Or, si le défendeur ne contestait pas la faute, la victime ne parvenait pas à chiffrer son préjudice et éprouvait quelque difficulté à démontrer le lien de causalité.
L’arrêt part du constat que les cartellistes se sont concertés au moins deux fois pour que le fournisseur de la société Doux Aliments augmente ses prix. La Cour souligne alors que « les cartels entraînent généralement une hausse des prix ou empêchent une baisse des prix qui se serait produite si l'entente n'avait pas existé ». Un tel degré de généralité s’apparente à une présomption revenant à transférer la charge de la contre preuve au défendeur.
Alors même qu’aucun « surprix » n’était établi par la victime au titre de chacune des années du cartel, la Cour n’hésite pas à affirmer que « son existence résulte de la pratique elle-même et des indices versés aux débats par la société Doux , démontrant à tout le moins la décision des membres du cartel d'augmenter les prix à son égard de 10 % certaines années » : l’intention concertée fait ici présumer l’effet anticoncurrentiel même s’il n’est ni démontré ni mesuré et la Cour s’en contente pour « déduire que le lien de causalité est suffisamment établi en l'espèce ». L’absence de tout chiffrage du préjudice l’amène cependant à ordonner une expertise.
Cette décision est probablement illustrative de la façon dont les actions indemnitaires vont désormais permettre de compléter l’arsenal répressif et les sanctions financières par le prononcé de dommages-intérêts dont les autorités espèrent manifestement un effet dissuasif pouvant aller jusqu’à l’éradication des cartels.
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