Remise inconditionnelle = avantage et contrepartie
Publié le :
30/11/2023
30
novembre
nov.
11
2023
Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 25 octobre 2023, n° 21/11927
Dans l’affaire de la « taxe Lidl », la Cour d’appel confirme le rejet des demandes de condamnation formulées par le ministre chargé de l’Economie à l’encontre du groupement d'achat de E. Leclerc, le Galec, opérant par substitution des motifs précédemment adoptés par le tribunal de commerce de Paris.
Il est question d'une remise additionnelle de 10% demandée aux fournisseurs pour des produits lorsqu’ils étaient commercialisés concomitamment dans les magasins Leclerc et dans les magasins concurrents Lidl.
On se rappelle que, par jugement en date du 11 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris avait débouté le Ministre de son action fondée sur les dispositions de l’(ancien) article L.442-6, I, 1° du code de commerce: les premiers juges avaient considéré que cet article n’engage la responsabilité d’un opérateur économique qu’au regard d’un service commercial prévu par les parties, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, l’analyse des conventions faisant ressortir que la remise litigieuse ne faisait référence à aucun service commercial convenu entre les parties (Tribunal de commerce de Paris, 11 mai 2021, n° RG 2018014864 commenté sur ce site: Affaire Le Galec : la question de la remise en tant qu’avantage sans contrepartie | SELINSKY CHOLET (SELARL) (selinsky-avocats.com).
Au soutien de son appel du 25 juin 2021, le Ministre faisait valoir que la remise inconditionnelle permet à Le Galec d’obtenir une réduction de prix sans contrepartie alors que, par définition, une remise doit rémunérer un service rendu lié à l'opération de vente. La nouvelle rédaction du texte (désormais article L442-1 I 1° du code de commerce) ne se contente en effet plus de viser un avantage « ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu » mais plus généralement un avantage « sans contrepartie »,
La Cour d’appel rejette à nouveau les demandes du Ministre, mais sur des motifs différents de ceux précédemment adoptés par les premiers juges.
1°) D’abord la Cour admet que « de par la généralité de ses termes, l'application de [l’ancien article L442-6 I 1° du code de commerce] peut être étendue au-delà des seuls services de coopération commerciale ("service commercial") et à un avantage de toute nature. »
- L’avantage peut être une réduction de prix
En tant que réduction de prix, la question du contrôle de la remise inconditionnelle demandée par le Galec aux fournisseurs au titre de l’article L442-6 I 1° ancien du code de commerce interrogeait.
En 2020, la Cour de Paris avait en effet jugé que « les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° précité ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial » (CA Paris, 4 nov. 2020, n° 19/09129 ; solution qui s’écarte d’un précédent arrêt du 13 septembre 2017, Gelco/EMC).
Elle avait considéré que « En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass.com. 25 janv. 2017, N° 15-23547). »
Or, son arrêt a été cassé par la Cour de cassation (Le contrôle judiciaire du prix sans soumission | SELINSKY CHOLET (SELARL) (selinsky-avocats.com) qui était été allée jusqu’à admettre que l’article L442-6 I 1° (devenu L442-1 I 1°) du code de commerce permet le contrôle judiciaire du prix y compris en l’absence d’atteinte à la libre négociabilité lorsque cette négociation tend ou aboutie à l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou dont la contrepartie est manifestement disproportionnée : « L'application de l'article L. 442-6, I, 1°, du code de commerce exige seulement que soit constatée l'obtention d'un avantage quelconque ou la tentative d'obtention d'un tel avantage ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu, quelle que soit la nature de cet avantage" (Cass. com., 11 janvier 2023, n° 21-11.163).
- La contrepartie n’est pas nécessairement un service de coopération commercial mais peut être n’importe quel service commercial
La Cour juge quant à elle que, « En l’espèce, la remise n’était pas une contrepartie à un service commercial mais qu’elle était prévue au titre des conditions de l'opération de vente des produits (article I-1) et non au titre de la rémunération d'un service commercial ou de toute autre obligation au sens des 2° et 3° de l'article L. 441-7 précité. »
2°) La Cour constate encore que la remise litigieuse ne constitue pas un avantage sans contrepartie : elle fait « partie intégrante de la négociation liée aux conditions de l'opération de vente pouvant aboutir à des réductions de prix sur le tarif des fournisseurs » et sa « contrepartie attendue par ces derniers n'était autre que le maintien du flux d'affaires entre les parties dans un contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs E. [W] et Lidl. »
3°) L’éventuelle disproportion de cet avantage par rapport à cette contrepartie est également écartée puisque « le Ministre ne procède à aucune démonstration du caractère manifestement disproportionné de la remise ainsi obtenue de chacun des fournisseurs sur les produits litigieux au regard des gains escomptés par ces derniers du référencement de leur gamme de produits dans les magasins de l'enseigne E. [W]. »
Cet arrêt s'inscrit dans la lignée de précédentes décisions adoptées cette année par la Cour spécialisée de Paris ayant le mérite de procéder à un véritable contrôle judiciaire des conditions permettant de sanctionner des pratiques commerciales dans la mesure nécessaire au respect du principe de la liberté des prix concilié à l'ordre public économique.
Historique
-
Ententes sur les prix dans le secteur du matériel électrique : Schneider Electric et Legrand lourdement sanctionnés avec deux distributeurs
Publié le : 04/11/2024 04 novembre nov. 11 2024ActualitésPar décision n° 24-D-09 du 29 octobre 2024, l'Autorité de la concurrence a in...
-
Le groupe Loste est condamné à 900 000 euros pour obstacle au déroulement d’opérations de visite et saisie réalisées par l’Autorité de la concurrence
Publié le : 25/10/2024 25 octobre oct. 10 2024ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceAut. conc., déc. n° 24-D-08 du 9 octobre 2024 Une enquête de concurrence p...Source : www.autoritedelaconcurrence.fr
-
Affaire Google AdSense : Le Tribunal de l’UE annule l'amende de 1,5 milliard d’euros pour abus de position dominante infligée par la Commission
Publié le : 08/10/2024 08 octobre oct. 10 2024ActualitésEn 2019, la Commission européenne a infligé à Google une amende de près de 1,...
-
Condamnation par l’Adlc d’un domaine viticole pour une pratique de prix imposés
Publié le : 05/08/2024 05 août août 08 2024ActualitésLa société SAS Distribution du Domaine d’Uby (SDU) a été sanctionnée par l'Au...
-
Contrôle des concentrations d’entreprises : les seuils bientôt rehaussés
Publié le : 07/06/2024 07 juin juin 06 2024ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceL’article 8 du projet de loi simplification de la vie économique prévoit un r...
-
Responsabilité d'un abus de position dominante en cas de cession partielle d'actifs
Publié le : 26/04/2024 26 avril avr. 04 2024ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceCass. com.,20 mars 2024, n° 22-11.648 Il ressort de la jurisprudence de la...Source : www.courdecassation.fr
-
Sanction de 250 millions d'euros à l'encontre de Google
Publié le : 03/04/2024 03 avril avr. 04 2024ActualitésL’Autorité de la concurrence condamne Google a une amende de 250 millions d’e...
-
Condamnation d'Altice pour gun jumping
Publié le : 17/01/2024 17 janvier janv. 01 2024ActualitésLe Tribunal de l'Union européenne avait confirmé la condamnation de la sociét...
-
Remise inconditionnelle = avantage et contrepartie
Publié le : 30/11/2023 30 novembre nov. 11 2023ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceCour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 4, 25 octobre 2023, n° 21/11927 Dan...
-
Négociations commerciales pour 2024: avancement du calendrier entériné
Publié le : 15/11/2023 15 novembre nov. 11 2023ActualitésLe projet de loi « anti-inflation » a été définitivement adopté par le Parlem...
-
Compétence des juridictions spécialisées : un revirement pour plus de sécurité juridique
Publié le : 27/10/2023 27 octobre oct. 10 2023Droit commercialActualitésCass. com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378 (arrêt n° 728 FS-B+R) Le 18 octobr...
-
OVS: quid de la protection accordée aux documents émanant des juristes d'entreprises?
Publié le : 18/10/2023 18 octobre oct. 10 2023ActualitésMise à jour le 16 novembre 2023 La loi d'orientation et de programmation p...
-
Sort du fichier-clients à l’issue du contrat de franchise
Publié le : 11/10/2023 11 octobre oct. 10 2023ActualitésCass. com., 27 sept. 2023, n° 22-19.436 Les droits du franchiseur sur le f...Source : www.legifrance.gouv.fr
-
Action indemnitaire post entente : quid de la preuve de la non-répercussion du surcoût ?
Publié le : 05/10/2023 05 octobre oct. 10 2023ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceCass. com., 6 sept. 2023, n° 22-13.753 1. Par un arrêt du 6 septembre 2023...Source : www.legifrance.gouv.fr
-
Amende record pour le Gun Jumping Illumina/Grail
Publié le : 24/07/2023 24 juillet juil. 07 2023ActualitésDroit commercial / Droit de la concurrenceMise à jour : le 3 septembre 2024, la CJUE a annulé l'arrêt du Tribunal UE et...