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L’Autorité de la concurrence fait défiler les agences de mannequins et leur principal syndicat

Publié le : 13/10/2016 13 octobre oct. 10 2016
Source : www.autoritedelaconcurrence.fr
Décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins

En pleine période de défilés de la fashion-week, l’Autorité de la concurrence a publié le 29 septembre dernier une décision par laquelle elle condamne le syndicat national des agences de mannequins (le SYNAM) à une amende de 50.000 euros, pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre, entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2010 (soit pendant 10 ans), une entente consistant en l’élaboration et la diffusion de barèmes tarifaires.

37 agences adhérentes du syndicat ont également été mises en cause dont 34 ont été condamnées à des amendes allant jusqu’à 600.000 euros  (les trois autres étant en liquidation judiciaire), pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce en participant aux pratiques reprochées au SYNAM (élaboration et diffusion de barèmes tarifaires) et le cas échéant en appliquant les barèmes tarifaires, entre le 6 février 2009 et le 31 décembre 2010 (soit pendant un peu moins de deux ans).

1°) Les prestations des mannequins sont strictement encadrées par le code du travail : d’abord parce que le placement des mannequins auprès des clients utilisateurs relève d’un monopole au profit des agences établies sur le territoire national et titulaires d‘une licence délivrée par l’Etat ; ensuite parce que les agences doivent verser aux mannequins des salaires encadrés par une convention collective de 2004. Pour obtenir le renouvellement de la licence, l’agence doit impérativement respecter des minima salariaux calculés en fonction des tarifs qu'elle facture aux clients utilisateurs et des minima salariaux négociés annuellement entre les partenaires sociaux. Les résultats de ces négociations annuelles obligatoires (« NAO ») s’expriment au travers de grilles salariales.

Selon l’Autorité de la concurrence, le SYNAM – et auparavant l’UNAM son prédécesseur - ont profité de la complexité du calcul des salaires minimums devant être versés par les agences aux mannequins, pour entretenir une confusion entre les grilles salariales résultant des NAO et des grilles tarifaires que les syndicats élaboraient et diffusaient auprès de leurs adhérents et des clients utilisateurs pour qu’ils les utilisent comme base de négociation entre eux.

Les agences adhérentes du syndicat ont également été tenues pour responsables de l’élaboration et de la diffusion de ces grilles, à l’occasion de réunions intervenues dans le cadre du SYNAM en 2009 et 2010, et le cas échéant de l’application de ces grilles.

Ces pratiques auraient « faussé le point de départ de la négociation commerciale et freiné la concurrence au détriment de leurs clients » (communiqué de presse de l’Adlc).

2°) Deux aspects de l’analyse au fond menée par l’Autorité méritent d’être soulignés :
 
  • Qu’importe que les grilles tarifaires n’aient été qu’indicatives et qu’elles n’aient pas revêtu le caractère de consignes tarifaires comme cela a été le cas dans de précédentes affaires similaires.  Il suffit que le syndicat ait diffusé auprès de ses adhérents - et les ait incités à utiliser pour les raisons susvisées – un document comportant des éléments de détermination de leurs prix pour que soit caractérisée une pratique concertée ayant « un objet anticoncurrentiel » (§ 256).
 
  • Qu’importe aussi que les réunions auxquelles ont participé les agences soient intervenues dans un cadre syndical dès lors que l’objet anticoncurrentiel de la réunion était « prévisible » ; A notre sens, l’Autorité innove sur ce point puisque, jusqu’à présent, lorsque seul le droit français est applicable comme en l’espèce, l’Autorité requiert traditionnellement un standard de preuve plus élevé que celui appliqué en vertu du droit européen lorsque la pratique concertée prend place dans le cadre d’une réunion statutaire : là où la jurisprudence européenne se contente de la participation à une seule réunion pour présumer l’adhésion à la pratique concertée, la pratique décisionnelle française a toujours exigé des éléments de preuve complémentaires (participation à une autre réunion, diffusion des consignes, application des consignes, …).
Selon l’Autorité, en l’espèce, l’objet anticoncurrentiel de certaines réunions pouvait être anticipé par exemple en raison du libellé de l’ordre du jour évoquant des discussions sur les prix de vente, ou de la réception au préalable d’un document – le règlement intérieur - contenant une disposition anticoncurrentielle et devant être voté lors de la réunion.

Ce critère de la prévisibilité de l’objet anticoncurrentiel de la réunion syndicale a permis à l’Autorité d’éviter de s’intéresser à l’application effective des grilles syndicales par les agences qui « ne constitue pas une condition nécessaire pour la démonstration de leur participation » (déc., § 322 et 323). 

3°) Enfin, l’Autorité a décidé de ne pas appliquer le communiqué sanctions mais de lui préférer une méthode de détermination forfaitaire des amendes.

Le communiqué sanction permet en effet à l’Autorité de s’écarter du communiqué si « les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisent à s’en écarter dans un cas donné » (§7). Elle doit alors motiver ce choix dans la décision.
 
En l’espèce, cette motivation est assez succincte : selon l’Autorité, la méthode du communiqué sanction n’était pas adaptée pour les agences en raison des circonstances particulières de l’espèce tenant à la confusion entretenue par l’UNAM puis le SYNAM « quant à la nature exacte des grilles tarifaires syndicales » . En prenant appui sur le contexte règlementaire particulier encadrant la rémunération des mannequins, « l’UNAM puis le SYNAM ont développé un discours, répété de manière constante, affirmant que les grilles tarifaires n’étaient que la transposition pour chaque année, des niveaux de salaires conventionnelles issus de la NAO » (déc., § 498).
Un autre élément de motivation était invoqué au soutien de l’amende forfaitaire : celui de la disparité des agences dont certaines ont connu une forte baisse de leur chiffre d’affaires.
 
On comprend donc que les sanctions ont été fixées à un niveau moindre que celui qui aurait dû résulter de l’application du communiqué sanction dont l’Autorité a considéré qu’il n’offrait pas la possibilité de tenir compte des circonstances particulières évoquées.
 
Les exemples où l’Autorité décide de s’écarter de son communiqué sanction sont rares mais on peut citer la décision messagerie et messagerie express du 15 décembre 2015 où l’Autorité avait eu également recours au forfait pour tenir compte du contexte, dans lequel était intervenue la pratique concertée consistant à facturer aux clients une surcharge gazole, résultant de « la concomitance de fortes hausses du prix du gazole avec les débats parlementaires et les interventions des pouvoirs publics en faveur d’une répercussion des variations du coût des carburants dans les contrats de transport » ayant pu créer une certaine confusion dans l’esprit des professionnels (Adlc, déc. n° 15-D-19 du 15 dé. 2015).
 
Quant au SYNAM dont le statut d’association loi 1901 exclut le recours à la méthode du communiqué sanctions (faute de valeur des ventes et de chiffre d’affaires), sa sanction s’élève au montant des cotisations perçues sur un an (moyenne de 2014 et de 2015).
 
Une injonction de publication accompagne la sanction.
 
Contrairement à ce à quoi nous a habitué l’Autorité, la décision comporte peu d’éléments destinés à permettre des recours indemnitaires de la part d’éventuelles victimes des pratiques: l’Autorité n’est manifestement pas parvenue à montrer le niveau d'un surprix qui aurait été payé par les clients utilisateurs (§488) et a même précisé que « plusieurs éléments viennent [...] relativiser l’ampleur des effets de la pratique en cause sur les prix payés par les clients-utilisateurs» dont notamment leur contre-pouvoir fort de négociation (§493).
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