Compétence du juge administratif pour connaitre d’une action indemnitaire post-entente commise préalablement à la conclusion d’un contrat administratif
Publié le :
27/11/2015
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Le Tribunal des conflits a rendu, le 16 novembre dernier, une décision décisive en matière de répartition de compétences pour statuer sur des litiges indemnitaires post-entente lorsque celle-ci a été commise à l'occasion de la procédure de passation d’un marché public.
Cette décision a été rendue à l’occasion de l’affaire dite des « marchés des lycées Ile de France » au titre de laquelle la région Ile de France poursuit devant l’ordre judiciaire, depuis 2008, plusieurs entreprises et leurs préposés. Cette action a pour objet d’obtenir auprès d’eux le remboursement du surprix que la collectivité aurait payé au titre de nombreux METP conclus entre 1988 et 1997 pour la rénovation et la reconstruction des lycées de la région, au profit d’entreprises dont certaines ont été condamnées pour avoir participé à une entente anticoncurrentielle pour se répartir les marchés.
Cette affaire, devenue célèbre par son ampleur, sa durée et l’implication de responsables de la Région condamnés au pénal, avait donné lieu – au plan des poursuites indemnitaires – à un jugement du Tribunal de grande instance de Paris en date du 17 décembre 2013 ayant déclaré l’action de la région prescrite.
La Cour de Paris, devant laquelle la région avait interjeté appel, s’apprêtait à confirmer ou infirmer le jugement, lorsque le Préfet de la région Ile de France a déposé le 6 octobre 2014 un déclinatoire de compétence, lequel a été rejeté par la juridiction de second degré le 24 juin 2015. A la suite de ce rejet, le préfet a soulevé un arrêté de conflit, soutenu par la région à qui il a semblé subitement évident – après avoir maintenu délibérément son action devant le juge judiciaire durant 6 ans – que le juge compétent était finalement celui de l’ordre administratif.
Droit applicable à la procédure devant le tribunal des conflits
Ce conflit positif est intervenu concomitamment à une réforme de la procédure de confits, actée par une loi du 16 février 2015 et un décret du 27 février 2015, mais annoncée depuis fin 2013 par une étude d’impact qui dénonçait l’inconstitutionnalité et l’inconventionnalité des anciens textes, notamment l’article 25 de la loi du 24 mai 1872 : il prévoyait, en effet, que le garde des sceaux présidait le Tribunal des conflits, autorisant ainsi une ingérence du pouvoir exécutif dans l’activité juridictionnelle. Le déclinatoire ayant été présenté avant la promulgation de ladite loi, les anciens textes étaient applicables à la procédure, à savoir l’ordonnance du 1er juin 1828 et la loi du 24 mai 1872. Cela étant, le tribunal des conflits, présidé par Monsieur Arrighi de Casanova, président depuis le 1er avril 2015, a rejeté tous les arguments d’inconventionnalité qui lui étaient présentés aux motifs que « la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction est, en principe, par elle-même, sans incidence sur les droits garantis par l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales». Ce faisant, le tribunal des conflits a validé la possibilité – maintenue dans le nouveau texte - d’élever le conflit seulement en cause d’appel.
Décision du tribunal des conflits sur la compétence
Le tribunal des conflits devait se prononcer sur l’ordre de juridiction compétent pour connaître d'un litige par lequel une personne publique met en cause la responsabilité délictuelle d'entreprises et de leurs préposés en raison des ententes concurrentielles dont ils ont été les auteurs lors de la procédure de passation de marchés publics.
Précédemment, le Tribunal des Conflits avait déjà statué en faveur de la compétence des juridictions administratives pour statuer sur un litige entre un pouvoir adjudicateur et un candidat, né à l’occasion de la procédure de passation d’un marché passé en application du code des marchés publics (TC, 23 mai 2005, Département de la Savoie-SPTV c/ Société Apalatys, n° 3450). Il s’agissait alors de poursuivre un soumissionnaire ayant rompu son engagement envers la personne publique (formalisé par son offre) en raison de son refus de conclure, après négociation, un marché public négocié.
Puis, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation, notamment à l’occasion de l’affaire dite « Campenon Bernard », ont affirmé sous forme d’attendu de principe que « les litiges nés à l’occasion du déroulement de la procédure de passation d’un marché public relèvent, comme ceux relatifs à l’exécution d’un tel marché, de la compétence des juridictions administratives, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel » (CE, 19 déc. 2007, Campenon Bernard, req. n° 268.918 ; CE, 19 mars 2008, SNCF c/ Dumez, req. n° 269134 ; Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-19408). La particularité de cette affaire est que, bien qu’extra-contractuelle, la responsabilité des personnes morale privées présentait un lien avec le contrat tenant au caractère dolosif des agissements qui leur étaient reprochés par la requérante : la SNCF se plaignait en effet de ce que le comportement anticoncurrentiel des sociétés avait vicié son consentement, et l’avait conduite à contracter à des conditions désavantageuses. Le caractère dolosif de la faute provoquait ainsi un lien avec le contrat administratif, fondant la compétence d’attraction de la juridiction administrative.
Dans l’affaire des marchés des lycées d'Ile de France, la région – dont les agents et élus avaient eu parfaitement connaissance des pratiques pour les avoir initiées et en avoir tiré un profit personnel – fondait son action, non pas sur l’article 1116 du Code civil mais sur les articles 1382 et 1384 du Code civil.
Aussi, le tribunal des conflits était-il placé devant l’alternative suivante : soit élargir la solution précédemment dégagée à tous les cas de responsabilité ayant un lien, de près ou de loin, avec un contrat administratif. Soit, au contraire, la cantonner à une solution d’exception s’écartant du bloc de compétence reconnu en matière de pratiques anticoncurrentielles « réservée par nature à l’autorité judiciaire » comme l’a admis en 1987 le Conseil constitutionnel.
Le rapporteur public s’était pour sa part rallié à cette thèse du bloc de compétence.
Malgré cela, le Tribunal des conflits a tranché en faveur du principe de l’attractivité du contrat, se prononçant pour la compétence du juge administratif pour connaitre de la responsabilité de toutes les « personnes auxquelles sont imputés des comportements susceptibles d’avoir altéré les stipulations d’un contrat administratif (…) et d’avoir ainsi causé un préjudice à la personne publique qui a conclu ce contrat ».
En l’espèce, sont visées les sociétés mais aussi leurs préposés (personnes physiques) « en raison d’agissements susceptibles d’avoir conduit la région Ile de France à passer des marchés publics à des conditions de prix désavantageuses » par rapport à celles qui auraient dû être dans des conditions normales de concurrence. Autrement dit, peu importe la nature délictuelle de la faute, peu importe que les agissements se soient déroulés avant ou pendant la procédure de passation des marchés, qu’ils aient d’ailleurs un lien direct ou indirect avec cette procédure, peu importe que les personnes poursuivies aient ou n’aient pas contracté avec la personne publique : seule compte la nature administrative de l’objet (contrat) ou du sujet (la région) ayant été impactés par la faute.
Toute la procédure indemnitaire suivie par la Région depuis 2008 devant l’ordre judiciaire est donc annulée et va devoir être reprise à son commencement devant l’ordre judiciaire administratif, plus de 18 ans après les faits.
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