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Affaire Le Galec : la question de la remise en tant qu’avantage sans contrepartie

Affaire Le Galec : la question de la remise en tant qu’avantage sans contrepartie

Auteurs : Sylvie Cholet, avocate associée, et Emma Zabraniecki, juriste stagiaire
Publié le : 07/06/2021 07 juin juin 06 2021

Tribunal de commerce de Paris, 11 mai 2021, n° RG 2018014864

Par une décision du 11 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris rejette les demandes du ministre de l’économie de voir condamner le Groupement d’achat E. Leclerc (le Galec) à près de 110 millions d’euros (en remboursement des sommes perçues de la part  des fournisseurs et en amende civile)  sur le fondement de l’ancien article L.442-6,I,1° du Code de commerce.

Après une enquête d’un an, le Ministre a assigné Le Galec en 2018 lui reprochant d’avoir obtenu de la part de certains fournisseurs une remise additionnelle de 10% sur des produits lorsqu’ils étaient commercialisés concomitamment dans les magasins de Leclerc et dans ceux de Lidl.

Selon l’assignation, la remise “s’analyse en une remise inconditionnelle sans service commercial fourni en contrepartie”.

Si la décision du tribunal de  rejeter les demandes semble correcte dans son principe, la motivation étonne.
  1. L’étonnante motivation du rejet

Les demandes du ministre s’appuyaient sur l’ancien article L.442-6,I,1° du Code de commerce , qui dans sa version applicable au litige, disposait que
 
« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. (…) ».

Sans plus s’attarder sur la qualification de l’avantage, ni même de la remise, les juges se contentent de soulever que le législateur aurait « expressément visé la responsabilité (…) portant sur un service commercial effectivement rendu, c’est-à-dire prévu par les parties ».

Il ajoute que, dans les contrat-cadres versés au débat, les remises visées ne «se réfèrent à aucun service commercial sur lequel les parties se seraient accordées »; qu'ainsi, l’action du ministre sur le moyen de l’absence de service commercial effectivement rendu est mal fondée.

Pour le tribunal, il semblerait donc que, dans son ancienne version, l’article L.442-6,I,1° du code de commerce ne puisse être applicable que dans l’hypothèse où les partenaires avaient préalablement convenu de la fourniture d’un service en contrepartie de l’obtention d’un avantage, et où ce service ne serait pas effectivement rendu.

Pourtant, lorsque la pratique a été introduite il y a 20 ans dans le code de commerce par la loi NRE du 15 mai 2001, le législateur visait spécifiquement la coopération commerciale dite fictive, c’est-à-dire sans “contrepartie réelle ou, du moins, proportionnée”  (Sénat, avis n°4, 4 oct. 2000 ; Projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques (senat.fr)).

Bien que peu nombreuses, les décisions appliquant l’ancien article L.442-6, I, 1° aux cas d’absence de service préalablement prévu par les parties ne sont pas inexistantes (par exemple, concernant le financement par une autre société de la formation de ses futurs gérants-mandataires en dehors de toute obligation contractuelle et sans aucune contrepartie : CA Paris, 29 nov. 2017, n° 15/00270).

Aujourd’hui, la disposition – devenue article L.441-2, I, 1° du code de commerce - telle que modifiée par l’ordonnance du 24 avril 2019 vise bien clairement le fait “1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie”.

C’est donc avec étonnement qu’est reçu le motif de rejet de la demande du ministre, par le tribunal de commerce de Paris, selon lequel le ministre a “formulé sa demande au titre exclusif de l’article L.442-6-1-1° du code de commerce, fondé sur le seul moyen de l’absence d’un service commercial effectivement rendu, alors que celui-ci n’était prévu par aucun des contrat-cadres litigieux”.
 

  1. L’impossible contrôle judiciaire du prix sur le fondement de  l’article L.442-6,I,1° du code de commerce

Le tribunal aurait pu fonder sa décision sur un autre motif, dans la continuité d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 4 novembre 2020, ce qui lui aurait également permis de répondre aux éléments du débat tel que délimité par les parties.

Car, c’est bien la question de l’avantage, et de sa qualification, dont il était question dans les arguments échangés.

La disposition invite en effet à s'intéresser d’abord à l’obtention d’un avantage puis seulement ensuite à l’existence ou non d’un service commercial rendu en contrepartie et le cas échéant à sa valeur « manifestement » disproportionnée.

Il ne fait a priori pas de doute qu’une remise additionnelle, ici également appelée « remise sur facture inconditionnelle » constitue un « avantage quelconque » pour le groupement d’achat, au sens de l’ancien article L.442-6,I,1° du Code de commerce.

A ce titre, le ministre faisait valoir que les remises constituent des avantages sans contrepartie, tandis que le Galec soutenait pour sa part que “ces remises sont des réductions de prix visées à l’article L. 441-7,I,1°” (devenu L.441-3,I,1°) qui ont fait l’objet de négociations et ont été acceptées par les fournisseurs ; il ajoute que les réductions de prix par rapport au prix tarif ne font “pas partie de la liste d’exemples illustratifs des avantages décrits dans l’article visé par le ministre”.


Or, précisément, la Cour d’appel de Paris, dans la continuité et la logique de l'arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 et de la décision du Conseil constitutionnel du 30 novembre 2018, a récemment déclaré, au sujet d’une remise, que

“Les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° dans sa version applicable à la date des faits et invoquées par le ministre de l’économie et des finances, lequel ne se fonde pas sur le 2° de ce même article relatif au déséquilibre significatif, se lisent ainsi :
“Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : 1° D’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en […]”.
En raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif, lorsque le prix n’a pas fait l’objet d’une libre négociation, ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2018-749 QPC (voir considérant n°7) à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 (Cass.com. 25 janv. 2017, N° 15-23547).
Dès lors, les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° précité ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial. (CA Paris, 4 nov. 2020, n° 19/09129 ; solution qui s’écarte d’un précédent arrêt du 13 septembre 2017, Gelco/EMC).

Rappelons que  l’article L. 410-2 du code de commerce dispose que « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence. » ; cela exclut par principe le contrôle judiciaire du prix dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence.

L’arrêt du 4 novembre 2020 invite donc à n’accepter le contrôle d’une réduction de prix (par exemple : d’une remise) qu’à titre exceptionnel, dans le cas où elle est imposée et entraine un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, autrement dit uniquement sur le fondement de l’article L.442-6,I,2° (devenu L.441-2,I,2°) du code de commerce.

C’est bien la liberté d’entreprendre qui est en cause : ainsi une conciliation doit être effectuée entre protection de l’ordre public économique avec la nécessité de maintenir un certain équilibre entre partenaires commerciaux d’une part, et protection de la liberté d’entreprendre et liberté contractuelle d’autre part.

Selon la Cour d’appel de Paris - et à raison - un tel contrôle sur le fondement du premier alinéa constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle.

La tentative du ministre d’échapper à la condition de soumission en s’appuyant sur l’alinéa 1 de l’article L.442-6,I est donc vaine.

Ainsi, le tribunal a eu raison de rejeter la demande du ministre en ce qu’il a formulé sa demande exclusivement sur le fondement de l’article L.442-6,I,1° du code de commerce : l’alinéa 2 aurait été plus pertinent mais encore aurait-il fallu démontrer une soumission ou tentative de soumission…

Attendons de voir si la Cour d’appel de Paris confirme cette récente position qui devrait l’amener, si elle est saisie dans cette affaire, à écarter également les demandes du ministre.

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